Providence est une petite ville dont le paysage urbain est presque banal pour une cité du nord-est des USA, au point qu'il sert de toile de fond récurrente aux comédies grand public des frères Farrelly. C'est aussi une des premières colonies de la Nouvelle Angleterre, fondée en 1636. L'imaginaire qu'on lui associe reste coloré par le passage d'Edgar Allan Poe, au cours du XIXe siècle. Mais c'est celui, plus durable puisqu'il y passera presque toute sa vie, d'Howard Philip Lovecraft, qui le marque le plus profondément.
Cet écrivain malade et visionnaire composera au début du XXe siècle, à travers quelques nouvelles et un seul roman, une mythologie de dieux anciens et malfaisants, aux noms imprononçables, dont le sommeil souterrain (ou sous-marin) menace régulièrement d'être interrompu. Il choisira de situer ses récits fictifs dans les régions qui entourent Providence, ou dans le Massachusetts voisin, tressant une topographie à la réalité incertaine.
On retrouve des démons grandioses et débiles, des cauchemars mutants et quelques rumeurs invérifiables lorsque dans les années 90, plusieurs jeunes artistes ont organisé des concerts cacophoniques et des combats de catch dans un squat nommé le Fort tonnerre (Fort Thunder). La légende raconte que la chaine d'information CNN, s'est appuyée sur l'anecdote d'un concert sauvage organisé en 1993 par Mat Brinkman et Brian Chippendale, dans un tunnel ferroviaire
à l'est de la ville, pour soutenir l'existence à Providence d'un culte satanique persistant. Mais c'est surtout une certaine texture psychotrope des images et des objets inventés par ces artistes, fracas psychédélique ou assemblages de rebuts, qui permet de convoquer une Couleur tombée du ciel et des Montagnes hallucinées1.
Si certains rapprochements artistiques visibles dans l'exposition Providence sont délibérément arbitraires, et si l'intitulé géographique peut sembler disposer les oeuvres dans une perspective qui manquerait d'amplitude, les connexions sont multiples, concrètes et solides, entre les pratiques des artistes invités qui se connaissent et travaillent parfois ensemble.
Pour autant, des parcours qui se croisent ne suffisent pas à tisser l'intimité qui existe entre les différentes oeuvres. Et si plusieurs artistes empruntent à des registres fantastiques, il ne s'agit pas non plus d'une homogénéité thématique. Les échelles de production, parfois très éloignées les unes des autres, de l'installation monumentale au dessin délicat, ne plaident pas, là encore, pour une méthode unique, ni pour une manière dont on pourrait déceler les variations de l'un à l'autre.
S'il y a bien une familiarité qui existe entre tous, elle est d'abord faite d'énergie : celle du tonnerre qui donne son nom au lieu pionnier cité plus haut et qui a hébergé plusieurs d'entre eux, celle de la foudre2 ou du champ de force3 - des énergies primordiales qui donnent naissances aux mythes et aux forces infernales. Le fracas est présent, et de façon intense, dans la plupart des créations musicales de ces artistes. La stridence et la saturation composent un territoire accidenté,
parcouru par des figures à cornes, ou équipées d'armes futuristes.
Les processus de transformations, par fusions et par explosions, constituent un deuxième circuit d'énergie à l'oeuvre, une énergie vivace, qui génère, disperse et rassemble. Plusieurs oeuvres montrent le monde qui se fragmente en facettes, en surfaces biseautées ou ondulées, en points de lumière ou de couleurs. D'autres sont des collages, des agglomérats de morceaux de papier déchirés, des regroupements d'objets échoués au bord de l'eau, ou des broderies minutieuses
cousues de fils brillants.
Enfin, une politique active de collaborations dessine un dernier réseau de circulation énergétique. Les influences sont partagées, et souvent réciproques. Les plus jeunes ont lu les fanzines édités par les plus anciens. La présence de Philippe Druillet est d'ailleurs voulue comme un indicateur de ces généalogies partagées, puisque plusieurs artistes sont aussi auteurs de comics, voire parfois collectionneurs. D'une autre façon, la présence de Paper Rodeo, fanzine historique, et de
Mother News, édité par Jacob Khepler, deux publications collectives, permet de rendre accessibles au public la fureur et la délicatesse, l'inventivité et la poésie d'un Providence imprimé.
Si les premiers gestes de ces artistes ont eu lieu dans années 90, la puissance de leur nature, dynamique et en perpétuelle mutation, rend caduque l'idée d'une exposition tournée vers une origine mythifiée et refroidie par le temps. Celle-ci est évoquée, mais les oeuvres présentées sont récentes, et même, pour certaines, réalisées spécifiquement pour l'exposition au MIAM. Il s'est agi de donner la place à cette énergie intense, qui après avoir parcouru quelques tunnels et usines
désaffectées du Rhode Island, continue de produire des déflagrations visuelles, dont l'après coup génère vibrations optiques et hallucinations.
Jonas Delaborde, commissaire invité.
Les Artistes invités.
Mat Brinkman - Melissa Brown - Brian Chippendale - Jessica Ciocci - Jim Drain - Philippe Druillet - C.F. - Leif Goldberg - Jungil Hong - Ben Jones - Marie Lorenz - Takeshi Murata - Ara Peterson - Francine Spiegel...
1 La Couleur tombée du ciel (The Colour Out of Space) et Les Montagnes hallucinées (At the Mountains of Madness), deux nouvelles d'H.P. Lovecraft, ont été publiées respectivement en 1927 et en 1936.
2 Lightning Bolt est un groupe dont Brian Chippendale est le batteur et le chanteur.
2 Forcefield était un collectif composé, sous des pseudonymes ésotériques, de Leif Goldberg, Ara Peterson, Jim Drain et Mat Brinkman.
Cet écrivain malade et visionnaire composera au début du XXe siècle, à travers quelques nouvelles et un seul roman, une mythologie de dieux anciens et malfaisants, aux noms imprononçables, dont le sommeil souterrain (ou sous-marin) menace régulièrement d'être interrompu. Il choisira de situer ses récits fictifs dans les régions qui entourent Providence, ou dans le Massachusetts voisin, tressant une topographie à la réalité incertaine.
On retrouve des démons grandioses et débiles, des cauchemars mutants et quelques rumeurs invérifiables lorsque dans les années 90, plusieurs jeunes artistes ont organisé des concerts cacophoniques et des combats de catch dans un squat nommé le Fort tonnerre (Fort Thunder). La légende raconte que la chaine d'information CNN, s'est appuyée sur l'anecdote d'un concert sauvage organisé en 1993 par Mat Brinkman et Brian Chippendale, dans un tunnel ferroviaire
à l'est de la ville, pour soutenir l'existence à Providence d'un culte satanique persistant. Mais c'est surtout une certaine texture psychotrope des images et des objets inventés par ces artistes, fracas psychédélique ou assemblages de rebuts, qui permet de convoquer une Couleur tombée du ciel et des Montagnes hallucinées1.
Si certains rapprochements artistiques visibles dans l'exposition Providence sont délibérément arbitraires, et si l'intitulé géographique peut sembler disposer les oeuvres dans une perspective qui manquerait d'amplitude, les connexions sont multiples, concrètes et solides, entre les pratiques des artistes invités qui se connaissent et travaillent parfois ensemble.
Pour autant, des parcours qui se croisent ne suffisent pas à tisser l'intimité qui existe entre les différentes oeuvres. Et si plusieurs artistes empruntent à des registres fantastiques, il ne s'agit pas non plus d'une homogénéité thématique. Les échelles de production, parfois très éloignées les unes des autres, de l'installation monumentale au dessin délicat, ne plaident pas, là encore, pour une méthode unique, ni pour une manière dont on pourrait déceler les variations de l'un à l'autre.
S'il y a bien une familiarité qui existe entre tous, elle est d'abord faite d'énergie : celle du tonnerre qui donne son nom au lieu pionnier cité plus haut et qui a hébergé plusieurs d'entre eux, celle de la foudre2 ou du champ de force3 - des énergies primordiales qui donnent naissances aux mythes et aux forces infernales. Le fracas est présent, et de façon intense, dans la plupart des créations musicales de ces artistes. La stridence et la saturation composent un territoire accidenté,
parcouru par des figures à cornes, ou équipées d'armes futuristes.
Les processus de transformations, par fusions et par explosions, constituent un deuxième circuit d'énergie à l'oeuvre, une énergie vivace, qui génère, disperse et rassemble. Plusieurs oeuvres montrent le monde qui se fragmente en facettes, en surfaces biseautées ou ondulées, en points de lumière ou de couleurs. D'autres sont des collages, des agglomérats de morceaux de papier déchirés, des regroupements d'objets échoués au bord de l'eau, ou des broderies minutieuses
cousues de fils brillants.
Enfin, une politique active de collaborations dessine un dernier réseau de circulation énergétique. Les influences sont partagées, et souvent réciproques. Les plus jeunes ont lu les fanzines édités par les plus anciens. La présence de Philippe Druillet est d'ailleurs voulue comme un indicateur de ces généalogies partagées, puisque plusieurs artistes sont aussi auteurs de comics, voire parfois collectionneurs. D'une autre façon, la présence de Paper Rodeo, fanzine historique, et de
Mother News, édité par Jacob Khepler, deux publications collectives, permet de rendre accessibles au public la fureur et la délicatesse, l'inventivité et la poésie d'un Providence imprimé.
Si les premiers gestes de ces artistes ont eu lieu dans années 90, la puissance de leur nature, dynamique et en perpétuelle mutation, rend caduque l'idée d'une exposition tournée vers une origine mythifiée et refroidie par le temps. Celle-ci est évoquée, mais les oeuvres présentées sont récentes, et même, pour certaines, réalisées spécifiquement pour l'exposition au MIAM. Il s'est agi de donner la place à cette énergie intense, qui après avoir parcouru quelques tunnels et usines
désaffectées du Rhode Island, continue de produire des déflagrations visuelles, dont l'après coup génère vibrations optiques et hallucinations.
Jonas Delaborde, commissaire invité.
Les Artistes invités.
Mat Brinkman - Melissa Brown - Brian Chippendale - Jessica Ciocci - Jim Drain - Philippe Druillet - C.F. - Leif Goldberg - Jungil Hong - Ben Jones - Marie Lorenz - Takeshi Murata - Ara Peterson - Francine Spiegel...
1 La Couleur tombée du ciel (The Colour Out of Space) et Les Montagnes hallucinées (At the Mountains of Madness), deux nouvelles d'H.P. Lovecraft, ont été publiées respectivement en 1927 et en 1936.
2 Lightning Bolt est un groupe dont Brian Chippendale est le batteur et le chanteur.
2 Forcefield était un collectif composé, sous des pseudonymes ésotériques, de Leif Goldberg, Ara Peterson, Jim Drain et Mat Brinkman.
Le Miam fête ses 15 ans à Providence.
15 ans de découvertes et de recherches pour ouvrir les horizons de l'art contemporain.
15 ans d'expositions pour changer notre regard et faire tomber les frontières.
15 ans à l'affut de créateurs inclassables et d'oeuvres rebelles à la taxinomie.
Depuis quelques années, le MIAM a prêté ses clés (ainsi que ses équipes et ses modestes budgets) à des artistes qui nous ont dévoilé leurs influences et ont partagé leur biotope artistique avec le public. Que ce soit les cinéastes mythiques canadiens Guy Maddin et Noam Gonik qui nous plongèrent dans les longues nuits d'hiver prolifiques de Winnipeg, le peintre expressionniste philippin Manuel Ocampo qui transporta à Sète les rues de Manille et ses artistes ou le peintre, Sévillan depuis des générations, Curro González qui leva le voile sur une scène sévillane contemporaine bouillonnante depuis les années 80. Ces différentes immersions dans les univers visuels de ces villes-monde ont démontré combien les artistes sont des capteurs et témoins privilégiés de tous les débordements esthétiques qui marquent un lieu et lui donnent son identité.
En 2015, l'exploration continue sous la houlette de l'artiste-commissaire Jonas Delaborde, jeune pousse des années 90, rompu à une pratique de l'art collective qui lui a permis en particulier de tresser des liens transatlantiques avec des dessinateurs et artistes de la ville de Providence aux Etats-Unis.
L'année dernière, j'ai visité cette ville, capitale de l'État de Rhode Island, une des plus anciennes des Etats- Unis, jamais vraiment remise de son déclin industriel à partir des années 20. J'y allais sur la piste de l'écrivain Lovecraft (1890-1937), le « reclus de Providence » qui y était né, y avait passé le plus clair de son temps et était devenu l'écrivain mythique qu'on redécouvre aujourd'hui. La mémoire de l'écrivain est discrète dans cette petite ville de province où un café Starbucks occupe sa maison natale. En revanche son héritage est bien présent, vivant dans les oeuvres des artistes que j'ai eu la chance de rencontrer et que Jonas Delaborde nous convie à découvrir dans l'exposition Providence. Fracas psychédélique en Nouvelle-Angleterre.
Hervé Di Rosa, président de l'association de l'art modeste
Musée International des Arts Modestes
23 quai Maréchal de Lattre de Tassigny - 34200 Sète France
+33 (0)4 99 04 76 44
15 ans d'expositions pour changer notre regard et faire tomber les frontières.
15 ans à l'affut de créateurs inclassables et d'oeuvres rebelles à la taxinomie.
Depuis quelques années, le MIAM a prêté ses clés (ainsi que ses équipes et ses modestes budgets) à des artistes qui nous ont dévoilé leurs influences et ont partagé leur biotope artistique avec le public. Que ce soit les cinéastes mythiques canadiens Guy Maddin et Noam Gonik qui nous plongèrent dans les longues nuits d'hiver prolifiques de Winnipeg, le peintre expressionniste philippin Manuel Ocampo qui transporta à Sète les rues de Manille et ses artistes ou le peintre, Sévillan depuis des générations, Curro González qui leva le voile sur une scène sévillane contemporaine bouillonnante depuis les années 80. Ces différentes immersions dans les univers visuels de ces villes-monde ont démontré combien les artistes sont des capteurs et témoins privilégiés de tous les débordements esthétiques qui marquent un lieu et lui donnent son identité.
En 2015, l'exploration continue sous la houlette de l'artiste-commissaire Jonas Delaborde, jeune pousse des années 90, rompu à une pratique de l'art collective qui lui a permis en particulier de tresser des liens transatlantiques avec des dessinateurs et artistes de la ville de Providence aux Etats-Unis.
L'année dernière, j'ai visité cette ville, capitale de l'État de Rhode Island, une des plus anciennes des Etats- Unis, jamais vraiment remise de son déclin industriel à partir des années 20. J'y allais sur la piste de l'écrivain Lovecraft (1890-1937), le « reclus de Providence » qui y était né, y avait passé le plus clair de son temps et était devenu l'écrivain mythique qu'on redécouvre aujourd'hui. La mémoire de l'écrivain est discrète dans cette petite ville de province où un café Starbucks occupe sa maison natale. En revanche son héritage est bien présent, vivant dans les oeuvres des artistes que j'ai eu la chance de rencontrer et que Jonas Delaborde nous convie à découvrir dans l'exposition Providence. Fracas psychédélique en Nouvelle-Angleterre.
Hervé Di Rosa, président de l'association de l'art modeste
Musée International des Arts Modestes
23 quai Maréchal de Lattre de Tassigny - 34200 Sète France
+33 (0)4 99 04 76 44